Il en va d’une maison d’artiste comme d’un cadeau choisi avec soin : l’enveloppe dévoile une proximité aimante qui fait entrer dans l’intimité de la personne. L’atmosphère respire une émotion palpable mais insouciante. Une odeur de malle à déguisement, mystérieuse et joyeuse. Le cri à peine distinct des marches de bois sous les pas.
Il y a un peu plus d’un an, à la fin de l’été, mes chers amis Michka m’ont conviée à venir découvrir la douceur de leur bord de Seine et la maison toute proche du poète Mallarmé (1842-1898). Après vous avoir fait visiter la maison de Rodin à Meudon, je vous emmène dans ce lieu secret et charmant où se blotissent des confidences fleuries et des rimes rondes comme des pommes. Bienvenue chez Stéphane Mallarmé au lieu-dit Valvins, à Vulaines-sur-Seine (Seine-et-Marne), tout près de Fontainebleau, dans sa « petite maison du bord de l’eau » !
« J’oubliais mes fugues […] sur le bord de la Seine et de la forêt de Fontainebleau, en un lieu le même depuis des années : là, je m’apparais tout différent, épris de la seule navigation fluviale. J’honore la rivière, qui laisse s’engouffrer dans son eau des journées entières. » Stéphane Mallarmé, lettre à Paul Verlaine, 16 novembre 1885.*
La maison de Mallarmé est une bâtisse typique d’Île de France, recouverte côté Seine d’un enduit blanc, habillée de volets gris et coiffée de tuiles plates de terre cuite. Elle nous accueille par une petite porte vitrée surmontée d’un auvent de plomb festonné, gris aussi. Un escalier entièrement recouvert de lierre conduit par l’extérieur à une partie de l’étage. À son pied, une affichette de zinc cite une lettre de Stéphane Mallarmé à son épouse Marie et à sa fille Geneviève, datée du 12 mai 1896 : « Le lierre, rien à faire qu’en replanter un pied ou deux dans le coin près de la basse-cour. » Et une autre datée du 26 novembre de la même année : « Le jardinier est venu aujourd’hui tailler le lierre, l’arbre et la vigne-vierge et empailler les rosiers ; pas touché aux plates-bandes à cause des plantes enfouies. »
« Tout le monde a un pays natal, moi j’ai adopté Valvins. » Stéphane Mallarmé cité par sa fille Geneviève, Mallarmé par sa fille, NRF, 1926 – Musée Mallarmé –
Mallarmé jardinier
L’autre côté de la maison, en pierres apparentes, fait face à un grand jardin planté surtout de rosiers et d’arbres fruitiers, où on a disposé ça et là de petits salons de jardin tout simples (tables rondes et chaises pliantes à lattes de bois). Les allées de gravier étroites livrent des surprises, senteurs et points de vue, et racontent l’amour du poète pour son jardin.
Rosiers taillés et lettre de Stéphane Mallarmé à son épouse Marie et à sa fille Geneviève, datée du 27 mai 1897 (toujours imprimée sur une petite plaque de zinc) : » Je t’ai dit avoir tué les pucerons des rosiers avec de la nicotine infusée par moi. Tous les matins je me promène avec le sécateur et fais leur toilette aux fleurs, avant la mienne. »
Un grand nombre de pommiers et poiriers s’alignent en rangs espacés sur une pelouse rustique, ou grimpent sur des arceaux métalliques.
Mallarmé décorateur
« Il aimait un intérieur harmonieux. le premier, il rechercha les meubles anciens, n’en voulant pas d’autres, dès sa jeunesse. Seuls alors les collectionneurs y songeaient. Quand j’étais tout enfant encore il me disait : Tu peux peux obtenir un joli aspect avec les choses les plus simples, pourvu que cela soit choisi avec goût et aille ensemble. Il mettait un soin extrême à n’importe quel détail. » Geneviève Bonniot-Mallarmé par sa fille, 1919.*
La chambre dite « de mesdames » (Marie Mallarmé et sa fille Geneviève), entièrement peinte en vert d’eau, avec une très campagnarde courtepointe fleurie rouge sur le lit. La froideur des murs est contrebalancée par les tomettes octogonales de terre cuite. Une robe estivale de style Belle Epoque habille un mannequin de couture.
La chambre de Stéphane Mallarmé avec cheminée toute simple de marbre gris, plafond de poutres blanchies et sol de tomettes. Le lit (surmonté du portrait de son regretté fils Anatole) et la bibliothèque peints en blanc cotoient le secrétaire et le fameux rocking chair en noyer et rotin du poète. « Nous occupons, dorénavant, presque toute la maison, avec la grande chambre d’un Louis XVI de campagne, si belle de vue sur la rivière », écrit Mallarmé à un ami fin août 1896, après la location de 2 pièces supplémentaires de la maison.
La chambre de Geneviève) restée fille unique après le décès de son petit frère Anatole à 8 ans en 1879). Geneviève (1864-1919) rachète la maison après la mort de son père en 1898 (la maison appartient désormais, depuis 1985, au Conseil départemental de Seine-et-Marne).
Musée départemental Stéphane Mallarmé
4 promenade Mallarmé
77870 Vulaines-sur-Seine
À relire :
Maison d’artiste : le Musée Rodin de Meudon
NB pour les nouveaux lecteurs qui s’étonneraient du descriptif important des légendes : afin que ce blog soit accessible aux malvoyants et aux aveugles (lire ici l’article « La déco pour les aveugles »), je m’efforce de légender avec précision les illustrations. Cette gymnastique paraîtra peut-être un peu fastidieuse aux voyants mais j’espère surtout qu’elle leur permettra aussi de découvrir les photos sous un autre « angle de vue » et d’inventer avec plus de facilité le mouvement léger des tomettes mal scellées, les heures qui sonnent à l’horloge, l’odeur des édredons lourds…
*Citations extraites de Maisons d’écrivains et d’artistes, Paris et ses alentours, Hélène Rochette, Parigramme, 2012.
La « petite maison du bord de l’eau » vue depuis le fond du jardin.
Comme dans la plupart des maisons d’artistes, le temps rajoute au charme inné de l’endroit. Un lieu qui donne envie de nature et de lecture… Merci pour ce joli reportage plein de fraîcheur et de lumière.
George
Merci beaucoup George pour ce commentaire plein de délicatesse. Oui, l’âge de la maison et des arbres fruitiers ajoute à la nostalgie du lieu…
Quelle ravissante visite!Merci de nous faire découvrir ce petit bijou avec tous ces détails. Je suis sous le charme du jardin, bien plus que la maison -quoique ces tommettes anciennes soigneusement cirées me fassent de l’œil-, mais ce jardin! ces roses! ce verger! Je suppose qu’il y a une petite coquille, Geneviève a dû racheter la maison en 1895 😉
Grand merci Filo (et merci de cette lecture attentive : la coquille est corrigée) ! J’avoue une tendresse particulière pour ce jardin-verger mais la maison est aussi très émouvante. Je vais poster sur Facebook ou Instagram une photo de la superbe salle à manger d’un magnifique rouge profond que je n’ai pas publiée ici pour ne pas ssurcharger l’article.
Belle découverte!.Merci