Autant vous prévenir, l’article que je m’apprête à rédiger ici fait ressurgir une grande émotion : celle que j’ai éprouvée en recevant, il y a quelques semaines, par mail d’un lointain cousin inconnu que je remercie de tout coeur, des photos d’archives de grande valeur. Il s’agit des menus de mariage de mon arrière-grand-mère Jeanne Thomas, celle-là même qui est le coeur de mon récit transgénérationnel Jeanne l’Alsacienne. Ces documents datent du tout début du XXe siècle et sont magnifiquement illustrés de dessins Art nouveau. Comment ne pas vous partager ma joie ?!
Jeanne (Alsacienne née en 1880 à Colmar, Alsace allemande) et Léon (Bourguignon) se sont mariés à Soultzmatt, Haut-Rhin, en août 1903. Ils avaient respectivement 23 et 28 ans. Le mariage civil a été célébré à la mairie de Soultzmatt (Haut-Rhin) le lundi 24 août (soit quelques jours après l’élection du pape Pie X et l’incendie de la station Couronnes qui fit de nombreux morts dans le métro parisien). L’acte de mariage est bien entendu rédigé en allemand. Le mariage religieux a été célébré le lendemain, mardi 25 août. (Je ne pense pas que cette date de la Saint Louis, roi de France, ait été choisie au hasard… J’y vois un lourd sous-entendu francophile…).
Bref, tout ça pour vous dire que la fête a duré deux jours ! Et quelle fête ! À lire les menus de mariage, on s’en étoufferait presque… Déjeuner et dîner du lundi, déjà plus que copieux, puis repas du mardi (déjeuner ou dîner ?), tout à fait pantagruélique. Honnêtement, je me demande comment il est possible d’ingurgiter de telles quantités de nourriture. Et je me demande surtout comment on a fait pour financer un tel faste, sachant que les deux mères des mariés étaient veuves avec de nombreux enfants… Mais ce n’est pas la question du jour ! Emerveillons-nous aujourd’hui sur les extraordinaires archives qui sont parvenues jusqu’à moi !
mon récit transgénérationnel Jeanne l’Alsacienne
Transmettre le goût de lire est un acte d’amour
Le trésor se compose de 3 feuillets, ornés au recto d’une peinture florale d’inspiration « dans l’air du temps » et portant au verso la composition des menus. Rappelons que la période Art nouveau s’étend de 1890 à la Première Guerre mondiale, avec un apogée autour de 1905. En 1903, on est donc en plein dedans ! Chaque menu est personnalisé ; il devait donc probablement y en avoir autant que de convives, fois trois !
Déjeuner du lundi 24 août 1903. Menu de « Madame Thomas », la mère de la mariée (c’est à dire mon arrière-arrière-grand-mère Jeanne Brun veuve Thomas), décoré d’une grappe de glycine. Ceux d’entre vous qui ont lu mon Jeanne l’Alsacienne savent que l’un des premiers chapitres contient une description de la magnifique glycine qui couvre un immeuble d’époque Art déco (1930), près de chez moi à Boulogne-Billancourt, et que cette description est fondatrice de la structure du récit. Le menu de ce déjeuner se compose de : Potage blé vert, Truite au bleu, sauce mousseline, Filet jardinière, Tête de veau tartare, Perdreaux forestières, Salade et Croûte à l’ananas. Le tout accompagné de vin de 1865 rouge (100 ans avant ma naissance !)
Dîner du lundi 24 août 1903. Menu de « Madame Thomas », la mère de la mariée. Je ne suis pas très sûre de moi quant à reconnaître la fleur peinte… Je dirai une pivoine car les feuilles découpées y ressemblent beaucoup et que c’est un motif floral privilégié par les artistes de l’époque (Lire Art nouveau à tous les étages : les pivoines). Le menu de ce repas de noces civiles se compose de : Consommé royal, Omlettes aux morilles (appréciez l’orthographe !), Gigot de mouton bretonne, Poularde rôtie, Salade et Savarin. Et pour faire passer tout ça : vin de Soultzmatt 1865 (restes du déjeuner ???), Soultzmatt rouge 1895, Champagne. Il n’est pas question d’eau… Pourtant, la famille Brun est propriétaire de la Source d’eau minérale Nessel de Soultzmatt, achetée en 1838 par Louis Nessel, l’arrière-grand-père de la mariée ! Mais le bourg de Soultzmatt est aussi sur la « route des vins d’Alsace »…
Déjeuner ou dîner du mardi 25 août 1903. Menu de « Mademoiselle Jeanne Thomas », la mariée. La blancheur du lys illustrant le menu ne laisse pas de doute sur la symbolique virginale associée à la jeune mariée. Le recto du feuillet porte le monogramme TP (initiales des deux familles nouvellement alliées). Le menu de ce grand jour se compose de : Velouté d’Ecrevisses de Lithuanie, Petites Bouchées à l’Impératrice, Darne de Saumon du Rhin, Sauce Flamande, Filet de Chevreuil à la Nivernaise, Cannetons de Rouen à la Provençale, Sorbets franco-russes (pour faire passer les premiers plats !), Dindes truffées à l’américaine, Salade, Buisson de Langoustes, Sauce Tartare, Haricots verts à la Française, Glaces Vénitiennes, Gâteau Breton, Nougat, Dessert, Petits Fours, Fruits. 16 plats ! Et quel festival culinaire européen ! Si quelqu’un a une idée de ce que sont les « Petites Bouchées à l’Impératrice », je suis preneuse ! (version Empire germanique des bouchées à la reine ?). N’oublions pas les boissons : Madère, Soultzmatt 1865, Corton (de la Bourgogne natale du marié), Veuve Cliquot, Café, Liqueurs. Je note que le vin de Soultzmatt 1865 devait être une année exceptionnelle pour qu’on en donne à boire à tous les repas de fête ! Une petite recherche « Soultzmatt 1865 » sur internet m’indique pourtant que, le 14 août 1865, la vallée avait eu à subir une tornade de faible intensité. C’est cette même année 1865 que l’eau minérale de la source Nessel de Soultzmatt avait été décrétée d’intérêt public pour ses vertus thérapeutiques. Je note aussi qu’il n’a pas l’air trop difficile de se fournir en champagne et victuailles françaises de luxe, même en Alsace allemande !
Bon appétit !
Arts de la table Arts nouveau : Décor de nénuphars pour un service à thé par Adélaïde Alsop Robineau, céramiste américaine (1865-1929) dans Keramic Studio, octobre 1900. Art nouveau à tous les étages : l’apogée de la ligne courbe
Menus de mariage et généalogie :
- L’amusant site d’un missuphile ou libellocénophile… c’est-à-dire collectionneur de menus : Menustory.com – Les Menus de l’Histoire, l’Histoire des Menus.
- Le début de l’aventure à la recherche de mes racines alsaciennes. Puisque je vous parle ici de généalogie – recherches pour lesquelles il ne faut jamais négliger les archives familiales -, je me permets de vous recommander la lecture de mon dernier article sur le blog Généalogie Alsace : Intelligence Artificielle et généalogie.
- Je vous informe aussi que je serai, le 7 octobre prochain, présente au 3ème MArché du Livre Indépendant, Le P’tit MALIN, au Chesnay-Rocquencourt (La Grande Scène, 37 rue Caruel de Saint-Martin, 78150 Le Chesnay-Rocquencourt. Entrée libre de 10h à 18h.) pour y présenter et dédicacer mon récit Jeanne l’Alsacienne.
La décoration florale Art nouveau :
- Art nouveau à tous les étages (1) : Eugène Grasset
- Art nouveau à tous les étages (3) : La rose et l’églantine
- Art nouveau à tous les étages (4) : l’apogée de la ligne courbe
- Art nouveau à tous les étages (6) : les iris
- Art nouveau à tous les étages (7) : les pivoines
- Art nouveau à tous les étages (9) : pommes de pin
Des histoires de maisons, de papiers peints et de déco Art nouveau :
- Art nouveau à tous les étages (5) : Chaque maison a une histoire
- Nostalgie (et archéologie) du papier peint
- Jardins imaginaires en papier peint
- Sur la pointe des pieds… le retour de l’Art nouveau dans la déco
Des tableaux Pinterest beaux, beaux, beaux !
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Prochains rendez-vous de conseil déco disponibles à partir de début octobre 2023. N’hésitez pas à me contacter pour vos projets de décoration, aménagement ou architecture intérieure !
Magnifiques menus et quels contenus!! Pour la fleur du menu de Mme Thomas,je verrais bien une anémone.Merci de partager ces merveilles.
Merci Domi ! Mais oui, bien sûr, une anémone, c’est une excellente idée !
Voici en prime le dernier paragraphe du vingtième chapitre de « Jeanne l’Alsacienne » :
« Je laisse traîner mon regard embué sur l’époque joyeuse des cousinades,
balayée par deux guerres. Une photo de « l’album Soultzmatt », datée de 1902,
rassemble encore les grands : Antoine, solide gaillard assis en tailleur aux pieds
de Jeanne, belle et altière, Germaine, Suzanne et Marguerite, les trois cousines
contemporaines à peu de choses près, Geneviève posant sa jeune main sur
l’épaule du grand cousin Georges, nonchalamment assis à califourchon sur une
chaise de jardin, Ferdinand (ou Joseph ?), toujours désinvolte, et, debouts, en
plein centre de l’image, Gaston et Lucien. À eux dix ils ont vingt ans. Chignons,
robes et vestons sont fleuris d’anémones blanches, « fleurs du vent », symboles
de l’abandon. Les fleurs préférées de ma mère. »
Merveilles et émotion! Outre les dessins délicats, on est en admiration devant les menus proprement dits. On ne rigolait pas avec la gastronomie!
Merci pour ce délicieux partage…
Grand merci Filo pour ce si gentil commentaire ! En effet, les repas sont une affaire très sérieuse. Dommage que les dessins ne soient pas signés ; j’aurais vraiment aimé savoir s’ils ont été faits par un membre de la famille (le grand-père maternel de Jeanne avait fait les Beaux-Arts).