Mes chers lecteurs,
Ne croyez pas que je vous aie totalement abandonnés ou que j’aie délaissé mon métier… Il est vrai que la récente publication de Jeanne l’Alsacienne a, ces derniers mois, occupé une bonne part de mon temps et de mon esprit, mais mon enthousiasme pour la décoration et l’architecture intérieure est intact ! Je voudrais aujourd’hui vous partager un peu de ma nostalgie pour une maison dont ma famille vient de se séparer pour y laisser vivre et s’épanouir une autre joyeuse famille. Et comme vous connaissez ma passion pour les papiers peints, j’avais envie de publier des photos des vieux papiers trouvés lors des travaux dans cette demeure de coeur.
Notre jolie maison de tuffeau à Saumur (dont je vous avais donné un petit aperçu ici) a été contruite en 1870. C’est donc une dame élégante mais très âgée… Nos heureux successeurs pourront encore découvrir dans le fond de quelques placards de très vieux papiers défraîchis, mais les revêtement muraux ont évidemment été changés plusieurs fois au cours des décennies. J’ai conservé amoureusement dans mes dossiers de travaux quelques vestiges intéressants et beaux qui témoignent de la richesse décorative de l’art du papier peint.
Les vieux papiers sont des archives !
Lors du changement d’une fenêtre du premier étage, j’ai découvert sous la baguette de parement une superposition de 3 très anciens papiers peints. On peut supposer que la toute première couche date de la construction de la maison : ce papier aurait donc 150 ans ! J’avais disposé sur une même feuille les 3 couches délicatement décollées ; je vous les présente ensemble puis séparément, en gros plan, afin d’en admirer la finesse.
Archéologie du papier peint : 3 couches successives de papier peint vintage, récupérés contre une huisserie de fenêtre. On peut considérer que les 3 épaisseurs de papier ont été posées entre 1870 et 1930.
Couche supérieure : papier peint gris et blanc, assez intemporel et qui pourrait encore tout à fait passer dans une décoration neutre consensuelle, datant possiblement des années 1930.
Couche intermédiaire : papier peint à motif floral très souple de style Art nouveau, malheureusement très abîmé par la colle du précédent, datant possiblement des années 1900.
Couche initiale : papier peint dont la délicatesse du motif et la technique de fabrication me fascinent ! Les fleurs rose pâle et leur feuillage vert ont manifestement été peints à la main sur un fond clair (que les ans ont bruni), puis l’ensemble du papier a été imprimé d’un motif décoratif uniforme de serpentins légers noirs (comme des traits de crayon ondoyants). Cette surimpression donne un sentiment de grande modernité en même temps que de préciosité sans ostentation.
J’ai trouvé d’autres vestiges de papier dans la petite chambre du second étage (aujourd’hui transformée en salle de bain + WC), peut-être l’ancienne « chambre de bonne » jouxtant le séchoir à tabac (sous le toit, petite pièce étroite éclairée par des châssis à tabatière* et où on suspendait les feuilles de tabac sur des fils tendus dans de grandes armoires fixes). Le papier peint qui tapissait la chambrette, défraîchi mais très charmant, donnait à la pièce un sympathique air de maison de campagne proprette. J’en ai gardé un grand morceau et relevé le modèle. Dessous, j’ai trouvé à même le mur de tuffeau recouvert de plâtre, 3 frises superposées.
*NB : Il n’y a aucun lien entre le fait que cette pièce ait été un séchoir à tabac et le fait qu’elle soit pourvue de châssis à tabatière ! Un châssis à tabatière est une fenêtre de toit (fenêtre ayant la même inclinaison que le toit) dont le battant pivote autour d’une charnière horizontale fixée à sa partie haute (comme le couvercle d’une tabatière) ; de nos jours on les remplace par des Vélux.
Le papier peint désuet de la « chambre de bonne » du second étage : modèle « Enfant au Dauphin » de DECOFRANCE. Ce papier rose et vert reprend, à la manière des toiles de Jouy, le thème mythologique de l’enfant au dauphin*. Les établissements Verkindère fondés en 1882 se spécialisent en 1922 dans la fabrication du papier peint qu’ils commercialisent à partir de 1964 sous le nom DECOFRANCE pour les papiers peints classiques et DECOFLASH pour les papiers peints pré-encollés. Il est donc possible que le papier de cette petite chambre ait à peu près mon âge !
*NB : Dans la mythologie grecque, l’enfant au dauphin fait partie du cortège d’Amphitrite, déesse de la mer. « Amphitrite, reine de la mer : Fille de Doris et Nérée, Amphitrite conduit le chœur de ses sœurs les Néréides. Poséidon l’aimait depuis longtemps mais elle s’était refusée par pudeur et se cachait dans les profondeurs de l’Océan. Retrouvée par les Dauphins, elle est ramenée en grand cortège à Poséidon qui l’épouse. Elle lui donne trois enfants dont le plus célèbre est Triton. » Source : exposition La mer », BnF. « L’enfant et le dauphin » est aussi une histoire racontée par Pline l’Ancien dans Histoire naturelle, IX, 25 (Source : «Des animaux incroyables», Académie de Lille).
Les 3 frises superposées : Celle du dessous, très bien conservée malgré la finesse du papier, a une largeur de 4,5cm et est typique de la décoration du Second Empire. Le fait que cette petite chambre n’ait primitivement été décorée que d’une frise et non entièrement tapissée tend à prouver qu’elle était destinée à une domestique. Je note néanmoins qu’on a pris de soin de lui porter une attention particulière en lui apportant une touche décorative au goût de l’époque.
Aimez-vous vous aussi conserver des traces du passé de votre habitation ? Pour moi, chaque maison a une histoire et la rénovation passe par le respect de cette histoire. C’est pourquoi, autant que possible, j’aime étudier le lieu, comprendre son passé, avant de me lancer avec mes clients dans des travaux de transformation. Et parfois, pour se souvenir, il suffit de garder dans une pochette quelques petits bouts de papier peint usé…
Choisir la décoration d’une demeure historique demande de la préparation : échantillons de papiers peints, nuanciers de peinture et croquis À tous les étages. Art nouveau à tous les étages (5) : Chaque maison a une histoire
Pour tous les amoureux du papier peint (et ceux qui vont le devenir) !
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Joie de retrouver un article de vous ! Je n’ai pas pensé à garder de restes des deux chambres dont j’ai refait le papier peint, qui était nettement plus récent et beaucoup moins joli. En revanche, après cette lecture, je mettrai de côté les morceaux retrouvés sous la goulotte électrique d’une autre chambre, qui me fascinent pareillement, quand je l’attaquerai.
En décollant j’ai retrouvé des couches de papier journal sous les papiers peints et me demandais s’il servait d’isolant (??) ou à lisser le mur au plâtre abîmé dessous
Merci Amaëlle ! Oui, le papier journal servait souvent de sous-couche isolante. S’il est encore lisible, c’est un vrai régal d’archive ! Je vous souhaite un bon été.
Quel bonheur Laure de découvrir cet article sur les papier peints anciens derrière lequel on perçoit tout l’intérêt de s’approprier l’histoire d’un habitat au lieu de gommer systématiquement les témoignages d’une époque révolue.
On peut réaliser un pêle mêle avec ces morceaux de tapisseries anciennes, des photos d’époque, des phrases délicatement calligraphiées … bref une création originale à la fois témoin et trait d’union entre le passé et le présent
Merci pour ces belles idées créatives !
J’ai adoré cet article ! Les traces du passé parlent à l’imagination et nous emmènent en voyage… Merci.
Merci ! C’est un voyage qui ne coûte pas cher…
Excellent ! Merci pour cet article 😉
Merci Florent pour cette lecture et pour la remise en état du service de commentaires !
Un article passionnant ! L’archéologie du papeir peint mérite vraiment qu’on s’ y intéresse et pourrait faire l’objet d’une thèse de recherche, voire d’un livre plus grand public. J’ai aimé partir avec toi dans cette enquête et admire ta capacité à reconstruire une histoire à partir de simples fragments de papier. Mention spéciale pour cet adorable enfant au dauphin. Merci d’avoir pris le temps de partager tes recherches avec nous ! Bises Marie *
Merci Marie ! Il existe probablement déjà des recherches sur le sujet mais j’ai beaucoup aimé vous partager ma petite part de l’histoire de cette maison (qui me manque déjà). Bises
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