Suite de mes recherches sur le graphisme fin XIXe-début XXe, pour préparer un beau projet de rénovation des parties communes (hall et cage d’escalier) d’un immeuble typiquement Art nouveau*. Si pour vous l’Art nouveau est juste synonyme de style « nouille », je suis là pour vous faire changer d’avis ! Après un premier article consacré à Eugène Grasset, je vous emmène à la découverte de l’un de ses disciples méconnus : Maurice Pillard Verneuil. C’est en travaillant sur les couleurs dans l’Art nouveau (la recherche de papiers peints et de couleurs de peinture d’époque, ça ne s’improvise pas !) que j’ai vraiment fait connaissance avec Maurice. Pas Maurice le poisson rouge du slogan publicitaire « Maurice, tu dépasses les bornes des limites ». Quoique. Il s’agit aussi d’animaux, souvent aquatiques. Car Maurice Verneuil s’est particulièrement intéressé à l’animal dans la décoration.
Les couleurs de l’Art nouveau :
« La naissance d’une conscience verte émerge à cette période et se retranscrit au travers des affiches avec l’usage de couleurs plutôt naturelles : tons boisés, bruns terreux, vert avocat et jaune moisson. » (Camille Lebailly à propos de l’ouvrage de Katie Greenwood, 100 ans de couleur, Eyrolles 2016).
Comme pour le graphisme, c’est la nature qui inspire l’Art nouveau pour les couleurs. La palette est donc très large, avec parfois des couleurs vives. Les caractéristiques principales sont :
- Couleurs nuancées (la stylisation du motif n’exclut pas l’utilisation de plusieurs nuances d’une même couleur)
- Tons rabattus (tons dont la luminosité est atténuée par l’ajout de noir)
- Couleurs délicates (tons pastels de bleus, verts, roses, mauves, couleurs irisées).
- Prédominance du vert (couleur la plus répandue dans la nature) mais couleurs naturelles souvent transformées (perce-neige bleus par exemple)
Au cours de mes recherches, je me suis aperçue que les animaux les plus utilisés dans les motifs décoratifs ont en commun une couleur, le turquoise (et je ne crois pas à ce genre de coïncidence !) : paon, libellule, scarabée, martin-pêcheur… tous séduisent par leurs nuances éclatantes et chatoyantes. Nous y reviendrons car il existe tant de documents décoratifs mettant en scène le paon qu’il vaut bien qu’on lui consacre un prochain article.
Couverture au paon de « L’animal dans la décoration » de M.P. Verneuil, publié en 1898
Maurice Pillard Verneuil et les animaux dans la décoration :
Maurice Pillard Verneuil (1869-1942) est un décorateur et critique d’art français, élève d’Eugène Grasset qui le recrute en 1897 pour illustrer la revue Art & décoration ; auteur notamment de L’animal dans la décoration (1898), de L’étude de la plante, Son application aux industries d’art ** (1903) et de L’ornementation par le pochoir (1910). Son oeuvre se caractérise par des couleurs soutenues et contrastées, souvent inattendues. Par rapport au trait léger et élégant d’Eugène Grasset, celui de Maurice Pillard Verneuil est assez raide, avec des contours marqués.
Maurice Pillard Verneuil, L’Animal dans la décoration, Librairie Centrale des Beaux-Arts, Ed. E. Lévy Imprimerie Lemercier et Cie, 1897. Planche n°7 : Papillons. Planche n°22 : Martinets et chèvrefeuille, bordure ; écureuils et noisetier, papier peint ; oiseaux et noisetiers en fleurs, bordure. (illustrations Pinterest)
Utilisation de motifs animaliers pour les accessoires de décoration :
« La fluidité de la ligne souple, notamment en « coup de fouet », de la courbe, de l’ondulation et de l’arabesque caractérise l’ornementation de l’art nouveau. » (Claude Boissy, L’Art Nouveau dans l’Architecture et la Décoration sur le site L’Art Nouveau, 2001).
Planche n°48 de l’Animal dans la décoration par Maurice Pillard Verneuil (1897) : Crevettes, support en bronze pour un vase. Martin-pêcheur et poissons, jardinières bronze et émail cloisonné. (illustration Pinterest)
La raie (on en revient au poisson…) dessinée par Eugène Grasset qui analyse son corps de forme géométrique et sa queue sinueuse, la réplique pour former des motifs répétitifs puis la transforme en vase… Quelle imagination ! (illustrations sur le blog Du côté de chez Grillon du foyer)
D’autres illustrateurs de la Belle époque (par ordre chronologique) :
- William Morris (1834-1896) : artiste britannique d’un grand éclectisme, fabricant designer textile, imprimeur, écrivain, poète, peintre, dessinateur et architecte, célèbre pour ses créations dans les arts décoratifs annonciatrices du mouvement Arts & Crafts.
- Louis-Théophile Hingres (1832-1911) : peintre, sculpteur, illustrateur et affichiste français.
- Walter Crane (1845-1915) : artiste et écrivain anglais ; c’est l’un des principaux acteurs du mouvement Art & Crafts. ; il a exercé son art dans l’illustration, la peinture, la céramique, le papier peint, la tapisserie, etc.
- Anton Seder (1850-1916) : professeur d’art allemand et directeur de l’École des arts appliqués de Strasbourg (Reichsland d’Alsace-Lorraine). Il se consacre principalement à la peinture décorative naturaliste dans La plante dans les arts et l’artisanat (1890) et L‘animal dans les arts décoratifs (1896). Il a co-édité le magazine L’Art nouveau en Alsace-Lorraine.
- Charles Francis Annesley Voysey (1857-1941) : architecte, designer de mobilier et de textiles anglais, proche du mouvement Arts & Crafts.
- Alphons Mucha (1860-1939) : affichiste, illustrateur, graphiste, peintre, architecte d’intérieur et décorateur tchèque ; figure majeure du style Art nouveau ; il réside de 1887 à 1906 à Paris où conçoit la bijouterie Fouquet de la rue Royale (la boutique reconstituée au musée Carnavalet).
- Henri Privat-Livemont (1861-1936) : peintre et affichiste belge ; il a participé à la décoration de l’hôtel de ville de Paris.
- Camille Martin (1861-1898) : peintre, relieur, illustrateur et affichiste lorrain, membre de l’École de Nancy.
- Georges de Feure (1868-1943) : artiste peintre, affichiste et designer français ; il a réalisé la façade du « pavillon de l’Art nouveau » à l’Exposition universelle de 1900 à Paris.
- Paul Berthon (1872-1909) : artiste peintre, affichiste et décorateur français
- Fernand Toussaint (1873-1956) : artiste peintre et affichiste belge
- Elisabeth Sonrel (1874-1953) : artiste peintre et illustratrice française
Lithographie de Anton Seder « Die Pfanze » (Deux chouettes dans un pin, une nuit de pleine lune), 1890. Anton Seder (1850-1916) était directeur de l’École des arts appliqués de Strasbourg, dans le Reichsland d’Alsace-Lorraine… quand l’Alsace était allemande. (illustration sur AbulÉdu, ressources éducatives libres )
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*Tout en restant discrète sur les détails du projet, je vous livre dans ce blog une partie du fruit de mes recherches, en accord avec la copropriété de l’immeuble concerné.
**Les éditions Bibliomane ont édité en 2015 « Étude de la plante, Son application aux industries d’art. Une superbe reproduction en fac-similé, fidèlement rafraîchie, de cet ouvrage de référence sur l’Art Nouveau et l’ornement où découvrir plus de 400 magnifiques illustrations végétales et florales. »
Bien bel article ! Et merci pour la citation !
Quel plaisir de lire tes billets si richement documentés et si intéressants ! Il va me falloir y revenir à tête reposée pour relire celui-ci dans les moindres détails. Mais pourquoi ne pas faire un petit recueil imprimé, florilège de tes meilleurs billets ? Je serais preneuse pour pouvoir le lire et relire à l’envi. Bonne continuation pour le projet de rénovation art déco. J’espère que tu nous montreras le résultats final. Bises Marie*