Si vous suivez régulièrement l’actualité de la déco, vous avez évidemment entendu parler de cette tendance qui gagne les intérieurs, au moins ceux qui s’exposent sur papier glacé dans les magazines. Sinon, voici un florilège de photographies dénichées sur internet et soigneusement sélectionnées pour illustrer ces atmosphères bienfaisantes venues du Japon. Vous y trouverez des sources d’inspiration mais aussi des exemples pour appliquer chez vous les préceptes du Wabi-Sabi.
PHOTO* : Écoulement apaisant d’une source fraîche, par un tuyau de bambou, dans un bassin de pierre brute. « Ancient Aesthetics of Japan: Wabi-sabi » sur le blog Goin’japanesque.
« Wabi-Sabi (侘寂?) est une expression japonaise désignant un concept esthétique, ou une disposition spirituelle, dérivé de principes bouddhistes zen, ainsi que du taoïsme » (Wikipédia). Cette philosophie de vie s’exprime dans de nombreux domaines de l’art japonais et de l’art de vivre au sens large. La décoration de la maison est donc le lieu de choix pour appliquer les préceptes du Wabi-Sabi, prônant « une sobriété paisible pouvant influencer positivement l’existence » : le retour à la simplicité (modestie, humilité) et l’acceptation du temps qui passe (caractère éphémère, vieillissement naturel) permettent de reconnaître la beauté des choses dans leur imperfection.
Ambiance quasi monacale (décoration épurée) et matériaux anciens (une vieille porte gravée de logogrammes). Axel Vervoordt: Wabi Inspirations via « Simplicité » sur le blog de Marie-Paule Faure
Le Wabi-Sabi concilie deux principes :
- Wabi fait référence à un sentiment subjectif, intérieur, avec les notions de solitude, simplicité, mélancolie, asymétrie.
- Sabi fait davantage référence à l’esthétique extérieure et nous parle de l’altération par le temps, de la décrépitude des choses vieillissantes, de la patine des objets.
Notez au passage que le style Shabby, très en vogue ces dernières années dans les intérieurs romantiques, tire son nom du mot anglais qui signifie littéralement «usé » et « abîmé». Le terme a été utilisé en premier dans le magazine américain The World of Interiors dans les années 1980, puis popularisé par la styliste Rachel Ashwell. La similitude de prononciation et de signification avec le Sabi japonais est plus que troublante…
Les craquelures sur des bols de faïence sont traitées comme des imperfections esthétiques ; le bord supérieur ondule ; le bois de la table laisse apparaître des veinures en creux. « Wabi Sabi Vessels » de Stone Bone Wood Cloth.
Composition harmonieuse de vases de formes, tailles et surfaces différentes (lisses, veinés, rugueux, striés) sur fond de mur décrépi (peinture écaillée). « Tendance : wabi sabi » sur le blog Begin.
Le lien avec la nature est très fort. La beauté des objets, meubles, revêtements, réside dans leur caractère rustique. Rusticité brute, originelle, primitive ; si ce n’était antagoniste avec les philosophies asiatiques, je dirais rusticité des matériaux à l’état créé. Mais aussi rusticité archaïque, vieillie, patinée, usée, porteuse du savoir-faire des anciens et des années d’histoire cumulées. Genèse et déclin.
Photos du Japon par Elizabeth Kirby sur Instagram (@local_milk) : bols lisses blancs posés sur des étagères faites de vieilles planches ; cérémonial du thé sur une terrasse en bois devant un jardin un peu sauvage.
La suite TriBeCa du Greenwich hôtel à New York. Garance Doré via Nat et nature. Les murs sont en béton brut, le socle de la cheminée est faite d’une dalle de pierre massive, le mobilier et la décoration sont minimalistes, seule la télévision à écran plat donne une indication de l’époque !
Ne pouvant mieux définir le Wabi-Sabi, je reproduit ci-dessous des extraits du remarquable article « Japon : Wabi-Sabi ou l’esthétisme par la spiritualité» sur le blog De paysage en paysage. Je remercie chaleureusement l’auteur pour son aimable autorisation de publication et pour la qualité de son travail ; n’hésitez pas à lire l’intégralité de l’article sur son blog.
Le Wabi Sabi prône l’harmonie avec la nature, dont les imperfections mêmes constitueraient la beauté spontanée, sans prétention, sans artifices et dont le caractère paisible peut influencer positivement l’existence. La philosophie du Wabi-Sabi symbolise d’une certaine manière une façon de percevoir les choses dans leur environnement en privilégiant une approche directe et intuitive de la vérité transcendante au de là de toute conception intellectuelle. Elle se manifeste dans la genèse de l’acte créatif lorsqu’il fait fait l’apologie de l’éphémère, de la fragilité, de la beauté des choses imparfaites et modeste.
Stephane Barbery qui vit à Kyoto a élaboré une définition du Wabi-Sabi dans un article intitulé : « Le Wabi-sabisme n’est pas un humanisme. Comme l’Univers ». […] Voici les conclusions qu’il en a tiré [extraits] :
- Wabi-Sabi est le concept clé de l’esthétique japonaise.
- Les japonais n’ont pas conceptualisé la notion pour différentes raisons liées à la nature du signifié, mais également, plus prosaïquement, pour des raisons liées au système pyramidal de l’enseignement des beaux-arts au Japon […]
- Wabi-sabi est en général qualifié comme la beauté, rustique, des choses : a)-imparfaites, impermanentes et incomplètes, b)- modestes et humbles, c)- non conventionnelles.
- Si l’on veut être précis sur la généalogie de la notion, il faut noter qu’elle est composée de deux mots au départ distincts et aujourd’hui difficilement dissociables : Wabi décrit par Suzuki Daisetz comme « appréciation esthétique active de la pauvreté » qui renvoie à un sentiment subjectif, une intériorité, une voie philosophique, associée à l’espace, à l’isolement et Sabi qui renvoie davantage aux objets matériels, à l’objectivité, à l’extériorité, à l’idéal esthétique, aux effets du temps, au vieillissement, à la solitude désolée – qui peut être sereine ou d’une mélancolie douce – que ces effets du temps provoquent.
- Wabi-sabi est une beauté profonde, multi-dimensionnelle, élusive que l’on peut tenter de comprendre en l’opposant à la beauté « moderne » occidentale […]. Les deux fuient toute décoration qui ne ferait pas partie de la structure. Les deux sont des idéalisations abstraites […] de la beauté. Les deux ont des surfaces immédiatement caractéristiques : le modernisme est lisse, poli, sans soudure; wabi-sabi est terreux, imparfait, bigarré.
Article « Japon : Wabi-Sabi ou l’esthétisme par la spiritualité » sur le blog De paysage en paysage
Dans une chambre d’hôtes à Vaucelles (Belgique), salle de bain avec un tabouret d’une grande simplicité et des carreaux bosselés et inégaux dont la surface accroche la lumière malgré leur couleur noire. »B&B de charme au cœur de la Belgique » sur le blog Nat et nature.
J’aime beaucoup la définition proposée sur le blog Bonne gueule : « Le wabi-sabi, c’est l’imperfection qui rend une chose unique et belle, tout en restant modeste. C’est la mousse sur une vieille statue, le mur délavé d’une vieille ferme, le dépot de marc qui se forme au fond de la théière. »
Photo de Garance Doré : Plateau portant un ensemble de vaisselle en poterie artisanale pour le thé ; le mug est façonné grossièrement à la main.
Voilà pour l’explication théorique. Dans la partie suivante, je vais vous indiquer comment créer chez vous une ambiance proche des ambiances japonaises traditionnelles, dans le respect des règles du Wabi-Sabi. J’en profite pour mentionner que cette esthétique serait une bonne direction pour décorer un logement pour une personne aveugle ou malvoyante puisqu’elle fait la part belle aux irrégularités de surface (rugosités, aspérités), aux senteurs (mousse, fleurs et feuilles) et aux bruits d’eau (fontaines, ruissellements)*.
Le Wabi-Sabi chez soi:
Il ne s’agit pas de laisser-aller, encore moins de désordre ni de saleté. La notion de saleté souvent utilisée pour définir le Sabi est à mon avis erronée : boueux ou mousseux ne veut pas dire crasseux ! Il ne s’agit pas non plus de laisser le délabrement prendre le pas sur la patine du temps. Dans mes recherches, j’ai trop souvent trouvé de photos confondant le Wabi-Sabi et le rough luxe. Il n’a rien à voir avec la décrépitude et la vétusté recherchées avec ostentation. Le Wabi-Sabi est avant tout harmonie. Ce n’est pas une mode, c’est un art de vivre. Il y a dans la recherche de la sobriété et de la proximité avec la nature un certain raffinement.
Compositions végétales (bonsaïs et plantes dans des boules de mousse) posées sur des soucoupes et dans des poteries irrégulières. « A Wabi-Sabi Life » sur le blog A forbidden life.
Donc, pour adopter chez soi un style s’approchant du Wabi-Sabi, il faut dire :
- non à l’accumulation,
- non au désordre,
- non à la saleté,
- non au délabrement,
- non à la décadence !
On recherchera au contraire un certain dépouillement et une véritable harmonie :
- des objets de décoration, des pièces de mobilier et des éléments structurels eux-mêmes,
- des objets, éléments, meubles et revêtements de sols et murs entre eux.
Les objets choisis auront pour caractéristiques :
- la simplicité des formes,
- les couleurs naturelles,
- les matériaux bruts (bois veiné, usé, non traité, pierre)
- les matières naturelles (textiles de lin ou coton)
- l’aspect naturellement vieilli (patine naturelle, objets de brocante, de seconde main ou d’héritage)
- la sobriété (financière aussi !)
Tables basses en bois de récupération chez Clubcu.
Branche en fleurs dans un vase improvisé (bocal à fruits) sur un buffet à la peinture écaillée, vue sur le blog Esprit campagne ; bols et gobelets en faïence aux formes imparfaites et aux couleurs jaspées, sur le blog Spirit Opus (photo Kirstievn).
Coin toilette à l’ancienne avec une cuvette en poterie et un drap de bain en lin froissé posés sur un vieux banc, sur un sol en tomettes de terre cuite et contre un mur enduit à la chaux grisée (sur le blog DigsDigs) ; rideaux légers en chanvre naturel et gros coussins en chanvre teinté posés sur un parquet massif (Couleur chanvre sur le site Côté maison).
Planche à découper ronde en bois d’acacia (nœuds apparents) sur fond de mur de béton brut, Esprit Nordik
Poteries artisanales en grès et verrerie Baileys Home sur le blog chinois Art and Design
Coupes en bois pour décoration d’automne, Baileys Home.
Assiettes irrégulières Auguri et minis bols en bois de teck Neëst.
Pour les passionnés, d’autres articles pour en (sa)voir plus :
- « Japon : Wabi-Sabi ou l’esthétisme par la spiritualité » sur le blog De paysage en paysage : article très complet qui aborde le wabi-sabi sous tous ses aspects
- « Le nouveau luxe: l’imperfection et la simplicité du courant « Wabi Sabi » » sur le blog Des pampilles dans les arbres.
- « Wabi sabi. La grâce de l’imperfection » sur le blog Plumetis Magazine
- « Baileys Home » sur le blog chinois Art and Design
- « Japanese Aesthetic: 35 Wabi Sabi Home Décor Ideas » sur le blog DigsDigs : 35 de belles photos d’inspirations, malheureusement pas bien référencées quand à leur source (Interior Holic et Pinterest).
- « Wabi-sabi : la beauté dans l’imperfection » sur le blog Spirit Opus : présentation du wabi-sabi comme « la valorisation du temps qui passe à l’état brut ».
- « Tendance déco : le Wabi-Sabi » sur le blog Local Milk : article sous-titré « Gros plan sur cette nouvelle lubie new-yorkaise ».
- « Imperfection » sur le blog de Marie-Paule Faure : de délicates photos comme Marie-Paule en a le secret pour illustrer le wabi-sabi appliqué aux arts de la table.
- « Wabi Sabi, la beauté des choses imparfaites » sur le blog Esprit campagne : très belles photos d’inspiration mais il manque les sources… (c’est très long de faire un article en citant ses sources et en ajoutant les liens correspondants ; les blogueuses sérieuses le savent bien… mais c’est une application qui témoigne du respect à la fois envers les auteurs des textes et photos copiées et envers les lecteurs.)
- « Le Wabi Sabi, la déco telle une philosophie… » sur le blog Aventure déco.
- « Tendance déco : Le Wabi-Sabi » sur le blog Lovers of mint.
- « Tendance déco : le wabi-sabi ! » sur le blog My Home Déco : beaucoup de photos magnifiques mais dont la provenance reste floue (Pinterest).
- « Wabi sabi » sur le blog Nous decor : un ensemble de photos où la patine du temps est ici franchement poussée au paroxysme de la décrépitude ; on ne trouve pas l’atmosphère apaisante du Wabi-Sabi mais un délabrement ostentatoire proche du rough luxe.
Le Wabi-Sabi transposé à l’architecture… et à la mode homme sur le blog Bonne gueule. La petite cour intérieure d’une maison ultra-moderne est tapissée de mousse et plantée d’un arbre au pied d’un rocher; une baie vitrée est largement ouverte sur le paysage.
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*NB : Dans la mesure du possible, je souhaite que ce blog de décoration soit accessible aux personnes aveugles ou malvoyantes. Cet article est illustré de photos légendées avec précision, afin que les malvoyants qui me liront grâce à la synthèse vocale puissent en profiter aussi. Grand merci à ANNE (UN MOMENT POUR TOI) pour son aide précieuse.
bel article…mais, perso, ce style ne me parle pas !!!
Tu le rejoins peut-être un peu par l’univers de la brocante !
Encore un super article sur ce blog. Profondément adepte de ce style, et entourée de nombreux livres sur le sujet, j’envisage, comme expliqué dans ce post, le Wabi Sabi et la ‘déco’ qui va avec comme une philosophie de vie empreinte de spiritualité laïque me concernant. Bel exposé et de nombreuses références que j’aurai grand plaisir à découvrir. Merci encore.
Merci beaucoup Marie pour cet enthousiasme !
Très bel article (mais je suis loin de parvenir à un tel dépouillement!). Le blog La Maison douce en est aussi un bon exemple.
Merci Martine. Le désencombrement est une première étape pour parvenir à une forme de sérénité, voire de liberté !
Superbe article Laure, j’aime beaucoup le Wabi Sabi, merci toutes ces précisions et images
Bises
Marie
Merci Marie, c’est un concept qui oblige à une certaine gymnastique de désencombrement !
Bonjour Laure,
Merci beaucoup de votre gentil message. Pour ce qui est du démoulage des tartes, ce n’est pas très compliqué grâce au fond amovible du moule. On passe une spatule sus la tarte et on fait glisser sur un plat.
Très bel article, très belle photos. Merci d’avoir cité mon blog. J’avais fait aussi un article sur le sujet l’année dernière, mais vous êtes allée plus loin que moi. C’est toujours extrêmement difficile, en tant qu’occidentale, d’aborder ce genre de concept, très complexe, surtout en l’abordant sous l’angle de la déco. Mais vous avez cherché à vous éloigner des « récupérations » purement décoratives, et de la vulgarisation chic, et votre texte est très intéressant.
Merci encore. Je vous souhaite un très bel été.
Très amicalement,
mp
Merci Marie-Paule pour votre bienveillance. Je répare tout de suite mon oubli en rajoutant le lien vers votre article dans ma liste florilège. J’apprécie toujours la délicate poésie de vos photographies et le wabi-sabi s’accorde chez vous superbement aux arts de la table. Merci !
Quel bel article encore une fois Laure ! J’ai enfin pris le temps de venir te lire car je sais qu’à chaque fois, j’ai besoin de me poser calmement pour pouvoir bien en profiter et ne rien rater. Ce sujet me parle car je suis une adepte de cet art de vivre et art de décorer/agencer sa maison même si je ne saurais pas être aussi radicalement minimaliste.
Merci pour les clins d’oeil et encore bravo !
Nathalie